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l’impeccable duchesse d’Arcos de Sierra-Leone. Mais, tête à tête et entre nous, jamais un seul mot, jamais une allusion ; le silence, ce silence de la haine, qui se nourrit d’elle-même et n’a pas besoin de parler. Don Christoval et moi, nous luttions de force et de fierté. Je dévorais mes larmes. Je suis une Turre-Cremata. J’ai en moi la puissante dissimulation de ma race, qui est italienne, et je me bronzais, jusque dans les yeux, pour qu’il ne pût pas soupçonner ce qui fermentait sous ce front de bronze où couvait l’idée de ma vengeance. Je fus absolument impénétrable. Grâce à cette dissimulation, qui boucha tous les jours de mon être par lesquels mon secret aurait pu filtrer, je préparai ma fuite de ce château dont les murs m’écrasaient, et où ma vengeance n’aurait pu s’accomplir que sous la main du duc, qui se serait vite levée. Je ne me confiai à personne. Est-ce que jamais mes duègnes ou mes caméristes avaient osé lever leurs yeux sur mes yeux pour savoir ce que je pensais ? J’eus d’abord le projet d’aller à Madrid ; mais, à Madrid, le duc était tout-puissant, et le filet de toutes les polices se serait refermé sur moi à son premier signal. Il m’y aurait facilement reprise, et, reprise une fois, il m’aurait jetée dans l’in-pace de quelque couvent, étouffée là, tuée entre deux portes, supprimée du monde, de ce monde dont j’avais