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des amours vulgaires. Nous vivions en plein azur du ciel ; seulement ce ciel était africain, et cet azur était du feu. Un tel état d’âmes aurait-il duré ? Était-ce bien possible qu’il durât ? Ne jouions-nous pas là, sans le savoir, sans nous en douter, le jeu le plus dangereux pour de faibles créatures, et ne devions-nous pas être précipités, dans un temps donné, de cette hauteur immaculée ?… Esteban était pieux comme un prêtre, comme un chevalier portugais du temps d’Albuquerque ; moi, je valais assurément moins que lui, mais j’avais en lui et dans la pureté de son amour une foi qui enflammait la pureté du mien. Il m’avait dans son cœur, comme une madone dans sa niche d’or, — avec une lampe à ses pieds, — une lampe inextinguible. Il aimait mon âme pour mon âme. Il était de ces rares amants qui veulent grande la femme qu’ils adorent. Il me voulait noble, dévouée, héroïque, une grande femme de ces temps où l’Espagne était grande. Il aurait mieux aimé me voir faire une belle action que de valser avec moi souffle à souffle ! Si les anges pouvaient s’aimer entre eux devant le trône de Dieu, ils devraient s’aimer comme nous nous aimions… Nous étions tellement fondus l’un dans l’autre, que nous passions de longues heures ensemble et seuls, la main dans la main, les yeux dans les yeux, pouvant tout,