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qui probablement n’avez fait que passer dans cette ville-ci, quand vous retournez dans votre Ouest, vous ne pouvez pas vous douter de ce qu’elle est — ou du moins de ce qu’elle était il y a trente ans — pour qui est obligé, comme je l’étais alors, d’y demeurer. C’était certainement la pire garnison où le hasard — que je crois le diable toujours, à ce moment-là ministre de la guerre — pût m’envoyer pour mon début. Tonnerre de Dieu ! quelle platitude ! Je ne me souviens pas d’avoir fait nulle part, depuis, de plus maussade et de plus ennuyeux séjour. Seulement, avec l’âge que j’avais, et avec la première ivresse de l’uniforme, — une sensation que vous ne connaissez pas, mais que connaissent tous ceux qui l’ont porté, — je ne souffrais guère de ce qui, plus tard, m’aurait paru insupportable. Au fond, que me faisait cette morne ville de province ?… Je l’habitais, après tout, beaucoup moins que mon uniforme, — un chef-d’œuvre de Thomassin et Pied, qui me ravissait ! Cet uniforme, dont j’étais fou, me voilait et m’embellissait toutes choses ; et c’était — cela va vous sembler fort, mais c’est la vérité ! — cet uniforme qui était, à la lettre, ma véritable garnison ! Quand je m’ennuyais par trop dans cette ville sans mouvement, sans intérêt et sans vie, je me mettais en grande tenue, — toutes aiguillettes dehors,