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en ces petites villes aux mœurs réglées et simples, pour qui la nuit était faite surtout pour dormir. La veille d’un être humain, — ne fût-ce qu’une sentinelle, — quand tous les autres êtres sont plongés dans cet assoupissement qui est l’assoupissement de l’animalité fatiguée, a toujours quelque chose d’imposant. Mais l’ignorance de ce qui fait veiller derrière une fenêtre aux rideaux baissés, où la lumière indique la vie et la pensée, ajoute la poésie du rêve à la poésie de la réalité. Du moins, pour moi, je n’ai jamais pu voir une fenêtre, — éclairée la nuit, — dans une ville couchée, par laquelle je passais, — sans accrocher à ce cadre de lumière un monde de pensées, — sans imaginer derrière ces rideaux des intimités et des drames… Et maintenant, oui, au bout de tant d’années, j’ai encore dans la tête de ces fenêtres qui y sont restées éternellement et mélancoliquement lumineuses, et qui me font dire souvent, lorsqu’en y pensant, je les revois dans mes songeries :

« Qu’y avait-il donc derrière ces rideaux ? »

Eh bien ! une de celles qui me sont restées le plus dans la mémoire (mais tout à l’heure vous en comprendrez la raison) est une fenêtre d’une des rues de la ville de ***, par laquelle nous passions cette nuit-là. C’était à trois maisons — vous voyez si mon souvenir est précis — au-