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disait en ces ripailles ; et la chose même devint si forte dans l’opinion, que la cuisinière du vieux M. de Mesnilgrand fut circonvenue par ses amies et menacée de ceci : que, pendant la visite du fils Mesnilgrand à son père, M. le curé ne la laisserait plus approcher des Sacrements. On éprouvait alors, dans la ville de ***, pour ces agapes si tympanisées de la place Thurin, une horreur presque égale à l’horreur que les chrétiens, au Moyen Âge, ressentaient pour ces repas des Juifs, dans lesquels ils profanaient des hosties et égorgeaient des enfants. Il est vrai que cette horreur était un peu tempérée par les convoitises d’une sensualité très éveillée, et par tous les récits qui faisaient venir l’eau à la bouche des gourmands de la ville, quand on parlait devant eux des dîners du vieux M. de Mesnilgrand. En province et dans une petite ville, tout se sait. La halle y est mieux que la maison de verre du Romain : elle y est une maison sans murs. On savait, à un perdreau ou à une bécassine près, ce qu’il y aurait ou ce qu’il y avait eu à chaque dîner hebdomadaire de la place Thurin. Ces repas, qui avaient ordinairement lieu tous les vendredis, raflaient le meilleur poisson et le meilleur coquillage à la halle, car on y faisait impudemment chère de commissaire, en ces festins affreux et malheureusement exquis. On y