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plus soulevé et tendu cette existence, encaissée dans de tranquilles habitudes, que la vague ne gonfle et ne trouble un lac de mer, fortement encaissé dans ses bords. Sans l’arrivée de Karkoël, de cet officier d’infanterie anglaise que des compatriotes avaient engagé à aller manger sa demi-solde dans une ville normande, digne d’être anglaise, la débile et pâle moqueuse qu’on appelait en riant madame de Givre, n’aurait jamais su elle-même quel impérieux vouloir elle portait dans son sein de neige fondue, comme disait Mlle Ernestine de Beaumont, mais sur lequel, au moral, tout avait glissé comme sur le plus dur mamelon des glaces polaires. Quand il arriva, qu’éprouva-t-elle ? Apprit-elle tout à coup que, pour une nature comme la sienne, sentir fortement, c’est vouloir ? Entraîna-t-elle par la volonté un homme qui ne semblait plus devoir aimer que le jeu ?… Comment s’y prit-elle pour réaliser une intimité dont il est difficile, en province, d’esquiver les dangers ?… Tous mystères, restés tels à jamais, mais qui, soupçonnés plus tard, n’avaient encore été pressentis par personne à la fin de l’année 182… Et cependant, à cette époque, dans un des hôtels les plus paisibles de cette ville, où le jeu était la plus grande affaire de chaque journée et presque de chaque nuit ; sous les persiennes silencieuses et les