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était sublime d’air heureux. Ah ! son air était à quinze mille lieues au-dessus de l’air de Serlon ! Je n’en passai pas moins sans lui donner signe de politesse, car si Louis XIV saluait les femmes de chambre dans les escaliers, ce n’étaient pas des empoisonneuses ! Femme de chambre, elle l’était encore ce jour-là, de tenue, de mise, de tablier blanc ; mais l’air heureux de la plus triomphante et despotique maîtresse avait remplacé l’impassibilité de l’esclave. Cet air-là ne l’a point quittée. Je viens de le revoir, et vous avez pu en juger. Il est plus frappant que la beauté même du visage sur lequel il resplendit. Cet air surhumain de la fierté dans l’amour heureux, qu’elle a dû donner à Serlon, qui d’abord, lui, ne l’avait pas, elle continue, après vingt ans, de l’avoir encore, et je ne l’ai vu ni diminuer, ni se voiler un instant sur la face de ces deux étranges Privilégiés de la vie. C’est par cet air-là qu’ils ont toujours répondu victorieusement à tout, à l’abandon, aux mauvais propos, aux mépris de l’opinion indignée, et qu’ils ont fait croire à qui les rencontre que le crime dont ils ont été accusés quelques jours n’était qu’une atroce calomnie.

— Mais vous, docteur, — interrompis-je, — après tout ce que vous savez, vous ne pouvez pas vous laisser imposer par cet air-là ? Vous ne