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pêchait de voir la couleur, comme un triangle de trois rubis ! Élancée, mais robuste, majestueuse même, taillée pour être la femme d’un colonel de cuirassiers, — son mari n’était alors chef d’escadron que dans la cavalerie légère, — elle avait, toute grande dame qu’elle fût, la santé d’une paysanne qui boit du soleil par la peau, et elle avait aussi l’ardeur de ce soleil bu, autant dans l’âme que dans les veines, — oui, présente et toujours prête… Mais voici où l’étrange commençait ! Cet être puissant et ingénu, cette nature purpurine et pure comme le sang qui arrosait ses belles joues et rosait ses bras, était… le croirez-vous ? maladroite aux caresses… »

Ici quelques yeux se baissèrent, mais se relevèrent, malicieux…

« Maladroite aux caresses comme elle était imprudente dans la vie, — continua Ravila, qui ne pesa pas plus que cela sur le renseignement. — Il fallait que l’homme qu’elle aimait lui enseignât incessamment deux choses qu’elle n’a jamais apprises, du reste… à ne pas se perdre vis-à-vis d’un monde toujours armé et toujours implacable, et à pratiquer dans l’intimité le grand art de l’amour, qui empêche l’amour de mourir. Elle avait cependant l’amour ; mais l’art de l’amour lui manquait… C’était le contraire de tant de femmes, qui