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places, sur les ponts, on avait organisé un service de guides armés de torches. Depuis plusieurs jours, je remarquais précisément la crue incessante des eaux et la submersion totale des berges. Notre quartier était entièrement désert ; un silence funèbre nous enveloppait. Voyez-nous accroupis sur notre fumier, ayant faim, pénétrés de froid, et jugez, si la chose est possible, de nos angoisses et de notre désespoir ! Ce fut alors que le suicide se présenta à mon esprit comme une ressource suprême.

« Par suite de cette même fatalité qui mettait Thillard sur ma route, j’avais entre les mains un agent de destruction, de tous, peut-être, le plus énergique et le plus rapide. Au collège, je m’étais activement occupé de chimie, et mon passage dans le laboratoire du pharmacien n’avait fait que raviver ce goût en moi. Lors de mon séjour chez ce dernier, inspiré uniquement par une curiosité puérile, je m’étais approprié deux fioles contenant, l’une de l’opium, l’autre, en verre noir cacheté, environ 12 grammes d’acide cyanhydrique, le plus actif des poisons connus. Pendant des années, je n’avais vécu que d’expédients ; j’avais erré d’hôtel en hôtel, laissant dans celui-ci une malle, dans celui-là des livres, dans cet autre des papiers, et, chose étrange, jamais, dans aucun, je n’avais oublié ces fioles mortelles. Elles m’embarrassaient, m’importunaient ; vingt fois je voulus les briser : toujours