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Les Méropes, ayant le décorum pour loi,
Et montant à Versaille [1] aux carrosses du roi ;
Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires,
Habitaient les patois : quelques-uns aux galères
Dans l’argot ; dévoués à tous les genres bas,
Déchirés en haillons dans les halles ; sans bas,
Sans perruque ; créés pour la prose et la farce ;
Populace du style au fond de l’ombre éparse ;
Vilains, rustres, croquants, que Vaugelas leur chef
Dans le bagne Lexique avait marqués d’un F ;
N’exprimant que la vie abjecte et familière.
Vils, dégradés, flétris, bourgeois, bons pour Molière.
Racine regardait ces marauds de travers ;
Si Corneille en trouvait un blotti dans son vers,
Il le gardait, trop grand pour dire : Qu’il s’en aille ;
Et Voltaire criait : Corneille s’encanaille !
Le bonhomme Corneille, humble, se tenait coi.
Alors, brigand, je vins; je m’écriai : Pourquoi
Ceux-ci toujours devant, ceux-là toujours derrière ?
Et sur l’Académie, aïeule et douairière.
Cachant sous ses jupons les tropes effarés,.
Et sur les bataillons d’alexandrins carrés,
Je fis souffler un vent révolutionnaire.
Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire.
Plus de mot sénateur! plus de mot roturier!
Je fis une tempête au fond de l’encrier.
Et je mêlai, parmi les ombres débordées.
Au peuple noir des mots l’essaim blanc des idées ;
Et je dis : Pas de mot où l’idée au vol pur
Ne puisse se poser, tout humiSe d’azur !

Victor Hugo. Réponse à un acte d’accusation. Les Contemplations, Livre I, VII

  1. Même observation que ci-dessus. Il fallait écrire non pas Versaille, mais Versailles, — Rien d’implacable comme un écolier qui prend son maître en faute !