Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/71

Cette page n’a pas encore été corrigée

traînante et vulgaire, et cela se comprend de reste, puisque pour lui pensée et rime ne sont qu’un. S’il a eu des visions nettes et éclatantes, elles se sont traduites à son esprit par des rimes sonores, variées, harmonieuses, décisives; s’il n’a eu que des visions confuses et s’il veut les peindre comme si elles eussent été nettes, ou s’il ment effrontément, prétendant avoir vu par les yeux de l’esprit des choses qu’il n’a pas vues en effet, il n’est plus qu’un comédien, qu’un farceur s’évertuant à singer sa propre inspira- tion et son propre génie, et souvent alors il n’arrive qu’à parodier de la manière la plus mi- sérable et la plus bouffonne l’être surnaturel qui est en lui.

Le phénomène n’est pas seulement ce que j’ai dit; il est bien autrement prodigieux et complexe, mais j’ai voulu procéder par ordre et ne pas étonner tout d’abord l’esprit du lecteur. Dès que le poëte a appris son art et s’est habitué à se rendre compte de ses visions, il entend à la fois, vite, de façon aie briser, non pas seulement une rime jumelle, mais toutes les rimes d’une strophe ou d’un morceau, et après les rimes tous les mots caractéristiques et saillants qui feront image, et, après ces mots, tous ceux qui leur sont corrélatifs, longs si les premiers sont courts,