Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qui aura bien lu ces vers saura ce qu’est la Rime et aussi ce qu’est le vers français, car la Rime, comme ils le disent, est l’unique harmonie des vers et elle est tout le vers. Dans le vers, pour peindre, pour évoquer des sons, pour susciter et fixer une impression, pour dérouler à nos yeux des spectacles grandioses, pour donner à une figure des contours plus purs et plus inflexibles que ceux du marbre ou de l’airain, la Rime est seule et elle suffit. C’est pourquoi l’imagination de la Rime est, entre toutes, la qualité qui constitue le poëte. Je vais expliquer ce que j’entends par là.

Je vais dès le premier mot prendre absolument le contre-pied des idées reçues : mon excuse, c’est que j’ai raison et que je vais, pour la première fois, dire la vérité, que savent tous les poètes. On a cru qu’il fallait la cacher à l’endroit le plus secret du tabernacle : pour moi, je pense que le temps est venu d’expliquer tous les mythes et de divulguer toutes les vérités. On peut sans inconvénient divulguer le secret de l’art des vers, et cela pour deux raisons. La première, c’est que les hommes non organisés pour l’art des vers ne croiront pas que c’est en effet le vrai secret ; la seconde c’est que, le connaissant, ils n’en pourront absolument rien faire, car il faut pour s’en