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Ce style figuré, dont on fait vanité,
Sort du bon caractère et de la vérité ;


a dit Molière en deux mauvais vers, qui eux-mêmes sortent autant que possible du bon caractère. De quel bon caractère ? de quelle vérité ? Le désordre apparent, la démence éclatante, l’emphase passionnée sont la vérité même de la poésie lyrique. Notre vers de théâtre du xviie siècle, si pur, si net, si habile à exprimer la passion dramatique, ne sera que froideur et néant si vous l’appliquez à l’ode. Ronsard tombe dans l’excès des figures et de la couleur ; le mal n’est pas grand, et ce n’est pas par là que périra notre littérature. Nos meilleurs critiques, prosateurs par profession, se sont trompés là-dessus du tout au tout. Chose inouïe à dire, ils ont péché par ignorance, car en français, ce qui est vrai pour la prose ne l’est jamais pour la poésie. Aux plus mauvais jours, quand elle expire décidément, comme par exemple sous le premier empire, ce n’est pas l’emphase et l’abus des ornements qui la tuent, c’est la platitude. Le goût, le naturel sont de belles choses assurément, moins utiles qu’on ne le pense à la poésie. Elle vise à émouvoir le cœur et les sens, bien plus qu’à satisfaire l’esprit. Et, pour accepter même le terrain du drame, le Roméo et Juliette de Shakspeare est