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dont dispose le poëte consistent, non pas seulement à trouver des rapports ingénieux entre les rimes qu’il a choisies, mais d’abord et surtout à choisir et à ordonner les rimes qui éveilleront les impressions qu’il veut faire naître, — le priver de choisir ses rimes, c’est le diminuer de moitié sans lui donner le mérite d’une difficulté vaincue, car il n’y a rien de plus facile à faire que les inutiles Bouts-Rimés. Aussi est-ce à tort que tous les éditeurs de Molière déshonorent une page de ses œuvres en la remplissant avec ce sonnet ridicule :


Que vous m’embarrassez avec votre …… grenouille
Qui traîne à ses talons le doux mot d’ …… hypocras !
Je hais des bouts rimés le puéril ………… fatras,
Et tiens qu’il vaudrait mieux filer une……… quenouille, etc.


Il faut éviter aussi les tours de force poétiques, dont l’unique but est d’amuser les sots et les oisifs. Si le vrai poëte ne doit reculer devant aucune difficulté, si invincible qu’elle paraisse, pour arriver à l’effet qu’il veut produire, il doit éviter d’avilir la Muse en lui imposant des contorsions inutiles. Ne confondez pas les capriceuses arabesques où se joue la fantaisie d’un artiste savant avec les stériles combinaisons où s’épuise l’obstination d’un maniaque. On a pu et on a dû peut-être tout tenter et tout essayer