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Que de douleur ne sentions quelque dragme[1].
Par ainsi semble impossible d’avoir
Santé au corps et Paradis à l’âme.

Doulce santé mainte amertume attire,
Et peine au corps est à l’âme doulceur.
Les bienheureux qui ont souffert martyre
De ce nous font tesmoignage tout seur.
Et si rhomme est quelque temps sans destresse,
Sa propre cher sera de luy maistresse,
Et destruira son âme (à dire voir)
Si quelque ennuy ne vient ramentevoir
Le povre humain d’invoquer Dieu, qui l’ame,
En luy disant : Homme, penses-tu veoir
Santé au corps et Paradis à l’âme ?

Ô doncques, Homme en qui santé empire,
Croy que ton mal d’un plus grand est vainqueur ;
Si tu sentois de tous les maux le pire,
Tu sentirois Enfer dedans ton cueur.
Mais Dieu tout bon sentir (sans plus) te laisse

  1. Il ne serait pas possible aujourd’hui de faire rimer Dragme avec Âme. Au temps de Marot, (comme aujourd’hui dans les chansons populaires), on se contentait souvent, à la fin des vers féminins, de la Rime assonante que M. F. Génin définit ainsi dans son Introduction placée en tête de La Chanson de Roland : « La rime est assonante, c’est-à-dire fondée sur la parité des voyelles ; on ne tient nul compte des consonnes. » Si dans ce petit Traité, nous n’avons pas étudié l’Assonance, qui cependant a joué un grand rôle dans la poésie primitive, c’est qu’elle n’est nullement employée par la poésie actuelle, si ce n’est dans l’intérieur des vers et pour produire des effets d’un ordre musical trop sublime et trop subtil pour qu’il soit possible d’en résumer le principe en des règles d’école. Pour être édifiés sur l’Assonance, voyez l’Introduction à La Chanson de Roland, Chapitre VIII.