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écrit la fable intitulée : Le Vieillard et les trois Jeunes Hommes, qui commence ainsi :


                    Un octogénaire plantoit.
« Passe encor de bâtir ; mais planter à cet âge ! »
Disoient trois jouvenceaux, enfants du voisinage ;
                    Assurément il radotoit.


Car soyez un écrivain savant, habile, ingénieux, rompu à toutes les finesses du métier, et essayez, dans les vers que je viens de vous citer, de changer ou de déplacer un seul mot : vous n’y parviendrez pas, à moins d’en diminuer la beauté et l’exactitude. Ces vers sont donc de la poésie ; ils ne sont plus à faire, puisqu’ils sont faits de façon à ce qu’on n’y puisse toucher. — Il y a certes de la poésie qu’on pourrait corriger sans la diminuer ; mais elle n’est pas poésie, si elle ne contient pas du moins des parties absolument belles, définitives, et auxquelles il soit impossible de ne rien changer.

Ceci tranche une question bien souvent controversée : Peut-il y avoir des poèmes en prose ? Non, il ne peut pas y en avoir, malgré le Télémaque de Fénelon, les admirables Poëmes en prose de Charles Baudelaire et le Gaspard de la Nuit de Louis Bertrand ; car il est impossible d’imaginer une prose, si parfaite qu’elle soit, à laquelle