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Lyrique. — Le même instinct qui avait révélé à Corneille que la Tragédie doit être religieuse, lui avait révélé en même temps qu’elle doit être lyrique, sous peine de ne pas être. Il ne pouvait songer à obtenir des chœurs de ses comédiens encore si peu riches, et qui sortaient à peine de l’état nomade ; et il sentait bien d’ailleurs que, dans le monde moderne, le lyrisme parlé devait se substituer fatalement au lyrisme chanté. Alors, par une admirable transposition, il imagina le monologue yrique stances régulières, qui devait aussi bien que possible, — et merveilleusement pour nous, — remplacer le chœur antique, puisque le monologue représente, par une indiscutable convention dramatique, ce qui se passe dans l’âme du personnage mis en scène. Cette âme parlant à l’âme du spectateur emploie naturellement et nécessairement le langage divin. C’est en strophes que s’exprime don Rodrigue, forcé de choisir entre son amour pour Chimène et sa piété filiale.


               Percé jusques au fond du cœur
D’une atteinte impréveuë aussi bien que mortelle,
Misérable vengeur d’une juste querelle.
Et malheureux objet d’une injuste rigueur,
Je demeure immobile, et mon âme abattue
                    Cède au coup qui me tue.
          Si près de voir mon feu récompensé.