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Et le jour que parut le convive de pierre,
Tu vins à sa rencontre et lui tendis la main ;
Tu tombas foudroyé sur ton dernier festin :
Symbole merveilleux de l’homme sur la terre,
Cherchant de ta main gauche à soulever ton verre,
Abandonnant ta droite à celle du Destin !

Alfred de Musset. Namouna. Chant II.


Nous avons dit que le Poëme peut se transformer à l’infini ; il nous est permis cependant d’avoir un idéal du poëme moderne. Il réunirait tout : esprit, gaieté, enthousiasme, ironie ; il serait complexe comme notre vie, ailé comme nos aspirations. Dans un cadre actuel et avec des personnages costumés en habit noir, il s’élèverait au merveilleux épique et au merveilleux bouffon. Mais que dis-je ? ce poëme existe, nous l’avons, c’est Atta-Troll, et s’il est écrit en allemand, du moins son auteur, le Prussien Henri Heine, est Français, Français comme l’esprit même. Et dans ce puissant et amusant poëme, où un Parisien fait la chasse à l’ours dans les Pyrénées, avec toutes les allures d’un dandy, il sait nous montrer le poëte souabe changé en chien, écumant la marmite d’Uraka la sorcière, et le vieil ours Atta-Troll rêvant une apothéose de petits ours à la fourrure rose et, sous la lune, dans le Ravin des Esprits, aux cris de : Hallo et houssa ! la chasse fantastique où défilent Nemrod, Charles X, le