Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/118

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme habitant de l’empire céleste, qui repciraît comme une tache d’huile ! La rime est encore hésitante, et parfois incolore : mais Chénier pouvait-il de rien la créer à nouveau dans toute sa splendeur éblouissante ? Ne lui demandons pas plus qu’il n’a fait, car il a déjà façonné l’ébauche d’un monde. Il ignora surtout que le grand artifice de notre versification consiste à faire paraître beaucoup plus long qu’il ne l’est matériellement notre alexandrin français, qui ne contient que douze syllabes, et qui par sa destination héroïque doit avoir l’ampleur de l’hexamètre latin ! Se débarrasser d’abord des incidences, de tous les traits accessoires, et finir la phrase dans le plein de l’idée, avec les grands mots mélodieux et le grand vers élancé d’un seul jet, voilà la formule moderne. Il était réservé, à Hugo de la trouver, comme toutes les autres Amériques, mais plus de trente ans après qu’il avait balbutié timidement ses premières chansons. Quel malheur que cet Hercule victorieux aux mains sanglantes n’ait pas été un révolutionnaire tout à fait, et qu’il ait laissé vivre une partie des monstres qu’il était chargé d’exterminer avec ses flèches de flamme ! Il pouvait, lui, de sa puissante main, briser tous les liens dans lesquels le vers est enfermé, et nous le rendre absolument libre, mâchant seule-