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Pindare, dans Horace, comme dans Aristophane, la phrase toujours libre, sans liens, se coupe au gré du rhy thme, mais non au gré du sens qui poursuit son chemin comme il veut. Il n’entre pas dans notre plan d’aller chercher si loin nos exemples : rappelons, en un mot, que le premier vers de l’Énéide comme le premier vers de l’Iliade enjambent sur celui qui les suit, que dans Pindare on trouve plus d’une fois un mot coupé en deux à cheval sur deux vers, que, chez le lyrique latin, les mots et, qui et les pronoms possessifs sont mille fois placés à la fin d’un vers ; que chez les vieux poètes français comme chez les poètes de tous les temps et de tous les pays, le vers est libre et ne connaît pas les affreuses bandelettes dont plus tard l’entortille Boileau ; qu’il reste libre jusqu’au xviie siècle, et enfin jusqu’à ce que Boileau paraisse et dise : « Je change tout cela ; désormais on aura le cœur à droite ! » — Mais pourquoi ? — Et Boileau répond : « Il sera à droite, parce que je veux qu’il soit à droite. »

Il n’est plus besoin aujourd’hui de démontrer l’absurdité de sa règle, que notre André Chénier avait émiettée déjà avant que Victor Hugo en éparpillât les restes aux quatre vents du ciel. Comme elle ne peut demander son origine ni à la vieille langue française, ni à nos patois, ni au