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Il me consolera, lui, et je me cacherai dans ses bras.

» Je trouvai Henri entouré de lexiques, de volumes ouverts : il noircissait ces grands feuillets que j’ai tant revus depuis, et à mesure qu’il entassait ces affreuses feuilles volantes, ses yeux se cernaient davantage, sa pâleur devenait plus verte, et cette toux désespérée, que j’ai entendue pendant quatre années, retentissait plus cruellement jusqu’au fond de mon âme.

» Henri m’avait à peine vue entrer : il leva sur moi un œil mourant et prononça pour la première fois ces paroles qui depuis m’ont toujours frappée au cœur comme un coup de couteau : Je fais de la copie ! Je voulus l’encourager et veiller avec lui, mais je me sentais brisée par la fatigue du théâtre ; je me déshabillai toute somnolente, comme un spectre, et je dormis dans la fièvre, voyant sans cesse l’essaim ironique des songes tourbillonner devant la clarté rougeâtre de la lampe.

» Chaque fois que je m’éveillais en sursaut, il m’apparaissait, lui, toujours plus pâle, toujours entassant les feuillets de copie, et sa toux cruelle troublait seule un silence de mort.

» Telle a été ma nuit de noces, et telle a été notre vie de quatre années ! Il faisait de la copie, moi, j’apprenais des rôles tout bas ; ou bien je cousais des oripeaux et des paillettes, et il corrigeait des épreuves ! Vous connaissez ces ignobles papiers maculés, sur lesquels on écrit en marge mille signes différents, qui veulent tous dire : Je suis esclave ! je suis esclave ! je suis esclave !

» Et puis, j’allais répéter ! Vous connaissez la Répétition ! Un cauchemar qui, depuis deux heures après minuit, vous tire les pieds et les cheveux, et vous répète, et vous crie, et vous siffle et vous chante à l’oreille : Il faut qu’à