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si amusantes d’Eugène Lami semblent heureux comme des poissons dans la rivière.

— « Eh bien, dit la maîtresse de la maison en se tournant vers le conteur, moi aussi j’ai connu une Valentine ! plus gaie que la vôtre, et appartenant, celle-là, à la vie heureuse. Mais (ajouta-t-elle, en me regardant avec une douce ironie) je ne vous engage pas à clouer ce joli papillon sur un feuillet de votre livre ! Pour toucher à ses ailes, il faudrait, je crois, une femme ; j’entends une femme aux mains délicates, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus rare au monde, car les filleules d’Ève ne peuvent faire ni des maîtres d’hôtel, ni des relieurs, ni même des corsetières sérieuses ! Je vous dirai toutefois quelle fut Berthe, l’insoucieuse et l’adorée, et tâchez, s’il se peut, d’en tirer pied ou aile, mais cette fois encore, défiez-vous de la manière de M. Courbet et gardez-vous de faire une orgie de réalisme !

» Berthe était avec nous au Théâtre-Historique, à l’époque où l’on y jouait ces longues chroniques d’Alexandre Dumas, pareilles à de grandes fresques brossées par un maître sur les murailles d’un palais de géants. Berthe excellait à représenter ces héroïnes de la Fronde et de la Guerre des Femmes, qui courent les grands chemins en habit de gentilhomme, le feutre sur l’oreille et la plume au vent, à côté d’un capitaine d’aventure. Elle représentait d’ailleurs tout ce qu’on voulait, car s’il eût été possible d’inventer une femme exprès pour le métier du théâtre, on ne l’aurait pas mieux réussie. Ses traits, pareils à ceux de la jeune Niobé, avec un peu plus de finesse et surtout avec la grâce moderne, son nez droit, ses yeux d’un or foncé et étincelant, aux cils noirs comme de l’encre, ses lèvres riches, enfin son excessive pâleur qui n’avait rien de maladif, la rendaient capable de supporter