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mémoires ! Ah ! vos brigands de la Forêt Noire qui boivent du kirschen-wasser en sculptant des ronds de serviettes ! vos spectres qui ont lu Schlegel et le Laocoon de Lessing ! notre vie de tous les jours contient d’autres tragédies et des histoires bien autrement terribles ! Et puisque vous tenez absolument à avoir peur, c’est moi, s’il vous plaît, qui vais vous dire un conte pour faire peur, tel que, par exemple, la légende de la boîte au lait.

— Ah ! dit le jeune Allemand, je la connais.

— Non, répondit Doralice. Ce conte-là est comme celui du sergent Laramée. Tout le monde le raconte et personne ne le sait. Voulez-vous de mon roman ?

Ce ne fut qu’un cri unanime pour consentir, car Doralice a les dents si blanches ! et une langue rose comme un pétale de rose. Son récit pouvait être ennuyeux, mais on était sûr de voir des perles vivantes et des lèvres mieux fardées que le front de l’Aurore. La belle dédaigneuse n’eut pas besoin de réclamer le silence et elle prit tout de suite la parole.

— Messieurs, dit-elle gracieusement, il y a comme cela à Paris beaucoup de demoiselles qui naissent avec une beauté aristocratique et divine, mais sans fortune, sans dot, sans même le petit peu d’argent qui peut servir à appartenir à Dieu et à être reçue dans un couvent. La nature leur a tout donné, la taille svelte des déesses, les longues mains blanches, le pied de race, les grands yeux sombres, étoilés, pleins de flammes, l’oreille gracieuse et pure et petite, la bouche éclairée de flammes roses, la distinction native, tout, excepté les rentes, les maisons de rapport, l’argent monnayé, les titres d’actions et les propriétés rurales. Elles ont de l’esprit à flots, elles ont du bon sens, elles sont venues au monde artistes et