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prenant l’un après l’autre par la main. Après avoir baisé la main aux dames et salué les hommes comme des pairs d’Angleterre, lord Angel invita tout le monde à passer dans la salle à manger, où les cinq hommes, pareils à des tigres déchaînés, dévorèrent en une heure le dîner de vingt banquiers. C’était un spectacle inouï de voir étinceler ces mâchoires qui semblaient décidées à engloutir l’univers, et qui s’agitaient comme si jamais auparavant elles n’eussent rien broyé entre leurs dents terribles.

Quant aux deux dames, elles mangèrent raisonnablement, en femmes qui, à la vérité, n’ont pas lu Byron, mais qui, toutefois, ont fondu de ci et de là dans leurs verres quelques perles de Cléopâtre. Le jeune homme de dix-huit ans ne mangea, lui, qu’un ortolan et une demi-orange de la Chine, et certes, s’il cherchait un moyen de se faire remarquer, il tomba on ne peut mieux, car le moins affamé des autres convives semblait affecter de prendre les faisans dorés pour des mauviettes, et les avalait par douzaines. Un autre qui venait de faire disparaître en se jouant deux pâtés de foie gras, tirait un valet par sa boutonnière en lui disant : — Monsieur, ayez donc l’obligeance de me rapporter quelques-uns de ces petits fours ! Et son voisin, tout en achevant sans emphase un demi-chevreuil, murmurait avec bonhomie : — Je reprendrai volontiers un peu de ce lapin ! Enfin, c’était charmant à voir. Et quant aux vins qui furent bus avant que la conversation s’engageât, je mettrais les sables de la Nubie au défi d’en boire autant sans se changer en lacs !

Lord Angel semblait trouver tout cela fort naturel et faisait les honneurs de sa table avec une grâce parfaite. Quand le carnage commença à se ralentir un peu, non