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sième étage, Capitaine s’élança par la fenêtre. Il espérait tomber à terre sain et sauf, et s’enfuir, grâce à l’étonnement que causerait sa chute. Cette pensée avait traversé son esprit, et il l’avait exécutée en moins de temps que ne dure un éclair. Malheureusement pour lui, sa chemise s’accrocha à un gros clou enfoncé au deuxième étage, et le tint ainsi suspendu. Il entendait toujours crier ; il sentait à quelques pieds au-dessous de lui la foule menaçante, il perdit complétement la tête et se débattit avec rage. La chemise céda, et vainement de ses mains étendues Capitaine chercha un point d’appui. Il tomba sur le pavé, mais non pas mort. Il avait le crâne ouvert, les deux jambes et une épaule brisées.

Au même instant Minette rentrait de la répétition. Elle se glissa dans la foule. D’un coup d’œil elle vit sa mère morte, dont la tête échevelée pendait à la fenêtre, et son père gisant à ses pieds. Elle se dressa en arrière, étendit les mains et tomba sur le pavé inanimée, blanche elle aussi comme un cadavre, à côté du corps de Capitaine.

Ce fut seulement huit jours après que Minette, couchée dans un lit blanc à l’hôpital Saint-Louis, s’éveilla de son délire. Une bonne religieuse, la sœur Sainte-Thérèse, assise à son chevet, semblait épier ce moment, et se pencha vers elle avec sollicitude. Minette sentit en même temps une soif ardente et une horrible douleur dans sa tête, qu’assiégeaient à la fois tous ses souvenirs. Elle considérait avec étonnement la grande salle où elle était couchée, ce parquet ciré, ces nombreux lits aux rideaux blancs, ces bassins de cuivre, ces hautes fenêtres, ces infirmières allant et venant. La religieuse prit une mesure d’étain placée sur la table de nuit, remplit de tisane un gobelet et le tendit à Minette, qui but avidement.