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en amitié pour sa gentillesse. On fit marché avec cette femme, et on lui confia Minette, dont l’intelligence miraculeuse dévora là encore les difficultés avec une incroyable ardeur. En moins d’une année, elle était devenue une ouvrière de première force, et dès lors sa mère la reprit avec elle. Tous les trois ou quatre jours, elle allait chez les marchands, et apportait à Minette une tâche qui eût découragé les filleules des fées. Lorsque, en rentrant à l’heure du dîner, elle ne trouvait pas la tâche faite, elle battait sans pitié la pauvre enfant qui ne répliquait pas un mot, et pleurait sans rien dire. Pourtant, elle faisait des merveilles de prestesse et d’habileté. Sous ses doigts agiles, les fleurs, les fleurettes, les festons, les guirlandes, les arabesques ; les feuillages naissaient par enchantement. Lorsque ses petits doigts n’en pouvaient plus, elle regardait le portrait de sa belle fée chérie et se mettait à travailler de plus belle, faisant jouer son aiguille et ses fins ciseaux, comme s’ils eussent été vivants.

À douze ans qu’elle avait alors, Minette, qui ne devait jamais connaître ni le nom du roi, ni l’existence de la cour, brodait déjà des chefs-d’œuvre, qui, vendus pour rien à une célèbre marchande de la rue de la Paix, excitaient l’admiration à la cour de Charles X. Mais tant de fatigues l’avaient tuée. Ses traits, naturellement très-fins, étaient devenus d’une ténuité extrême ; son nez aminci, ses lèvres pâlies, et les taches roses qui coloraient ses pommettes, indiquaient, sans que le doute fût possible, une maladie de poitrine qui allait devenir mortelle. Parfois, au foyer, quand madame Paul la mettait sur ses genoux, à la voir si souffrante et si frêle, elle pleurait en se rappelant une fille qu’elle avait perdue et qui aurait eu l’âge de Minette. Rafraîchie par ces lar-