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réelles féeries et de splendeurs éblouissantes. Elle devinait qu’alors sous les rayons qui perceraient toute cette ombre, les fleuves rouleraient des flots pleins de fraîcheurs et de murmures, que les feuillages se balanceraient sous le vent, que les fleurs s’épanouiraient éclatantes et parfumées, et que les palais découperaient sur l’azur du ciel leurs délicates sculptures.

Et, elle le sentait aussi, tout le peuple merveilleux qui devait habiter ces salles, ces clairières, ces paysages, ces maisons de diamant incendiées par le soleil, ces campagnes penchées sur des ondes endormies au clair de lune, toute cette foule passionnée, ivre d’amour, reprendrait ses riches habits, ses pierreries, sa dorure, et aussi la noblesse des traits et du geste. Vieillards à la chevelure de neige couronnés d’un cercle d’or ; fées voltigeant sur un lis ; chevaliers agitant leur épée flamboyante ; jeunes femmes aux robes lamées, éperdues sous les menaces des divinités ennemies ; génies et anges traversant le ciel comme des sillons de lumière ; tous ces personnages de sa comédie laisseraient là leurs grossières enveloppes, et apparaîtraient tels que les lui avait montrés madame d’Aulnoy, éclairés par toutes les flammes que secoue sur ses créations la main mystérieuse de la Poésie.

Aussi dois-je le dire hardiment, au risque de paraître avancer une chose incroyable, le jour venu, la représentation, les décors, les costumes, les machines, les feux de la rampe et du lustre, la salle, les parures, les toilettes, la foule curieuse et palpitante n’excitèrent chez Minette aucune surprise. Les seuls étonnements qu’elle devait connaître de sa vie, elle les avait éprouvés chez sa mère, dans son berceau et dans son lit d’enfant, en ne comprenant pas que la vie pût être ce qu’elle voyait, ce taudis infect, cette chandelle rouge et fumeuse, ces chansons