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nacre, elle glissa sur les eaux, aux chants des nymphes couronnées de fleurs. Quand elle avait marché toute une nuit au milieu d’une campagne aride où les ronces et les cailloux déchiraient ses pieds, alors, guidée par quelque lumineuse étoile, elle arrivait à un palais dont les portes de diamant s’ouvraient d’elles-mêmes, et où de belles servantes l’attendaient pour la laver dans les eaux de senteur, et pour lui passer, avec le linge blanc comme la neige, les colliers, les diamants, les saphirs, les robes couleur de soleil et couleur de lune. Debout, près de la table chargée d’aiguières d’or, un beau chevalier appuyé sur sa grande épée encore souillée du sang des monstres, l’attendait pour s’agenouiller devant elle et pour lui offrir le talisman qui fait obéir les génies. Ainsi elle vivait, désolée, meurtrie, mais donnant toute sa pensée à l’existence idéale dans laquelle elle se voyait transfigurée et heureuse.

Comme son père lui apprenait à lire, sa mère lui apprit à coudre, afin de l’employer à mettre en état les robes de ville et les oripeaux de théâtre. Adolphina maltraita sa fille plus cruellement encore que ne le faisait le clown ; mais Minette, qui était née pour ainsi dire avec les suaves douceurs d’une âme résignée, était devenue la résignation même depuis que son esprit d’enfant avait trouvé une fenêtre ouverte pour s’envoler dans le ciel. En songeant aux jeunes filles des contes renfermées dans quelque grotte obscure, ou condamnées à de pénibles travaux par la méchanceté des enchanteurs, elle se sentait presque heureuse de ravauder les chiffons de sa mère et de tendre ses jolis doigts à la tringle d’acier de Capitaine. Maintenant qu’elle savait assez de couture pour faire adroitement ce que lui ordonnait Adolphina, on lui laissait de la chandelle pour passer la