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allaiter un de ces petits anges dont la vue désarme même les cœurs les plus cruels, ce spectacle n’avait excité chez elle que du dégoût et de l’impatience. Du jour où elle sut qu’elle aussi allait être comme ces femmes qu’elle avait raillées, ses querelles avec son amant devinrent encore plus violentes et plus furieuses que par le passé. L’ivresse seule, cette ivresse de plomb qui succède à d’effroyables excès, pouvait mettre un terme à leurs combats toujours sanglants, et cependant Adolphina résistait à tout cela, grâce à son corps de fer. On croyait bien que le clown aurait tué vingt fois son enfant avant qu’il ne vînt au monde ; mais personne n’osa aller le dénoncer aux magistrats. Enfin, le jour de la délivrance arriva sans que Capitaine eût cessé ses brutalités envers sa maîtresse, sans que celle-ci eût éprouvé un sentiment humain tandis que tressaillaient ses entrailles. Dans ce grand moment qui dompte les courages les plus fiers, ce ne furent pas des cris de douleur qu’elle poussa, mais des cris de rage.

Une fois qu’elle fut mère, il y eut un point sur lequel les deux amants s’entendirent à merveille : ce fut pour reporter sur l’enfant, mais cent fois plus vive, cent fois plus acharnée, cent fois plus implacable, la haine qu’ils avaient l’un pour l’autre.

Maintenant, quel enfant pouvait être né de parents semblables ? Un collectionneur qui laissera une bibliothèque dramatique aussi complète que celle de M. de Soleinne et une remarquable galerie de tableaux représentant tous des acteurs, conserve deux beaux portraits de la jeune fille qui fut célèbre au théâtre sous le nom de Minette.

Le premier, daté de 1822, la représente à l’âge de sept ans, l’autre à celui de quatorze ans, où elle mourut