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— Au contraire. C’était lui qu’on rapportait, au bout de trois jours, et avec un mémoire de deux cents francs. Comme je viens de vous le dire, il touchait très-bien l’argent ; mais il avait l’habitude de le boire après.

— Et il buvait deux cents francs comme cela ?

— Non, il consommait le reste en carreaux. Son maître l’adorait.

— Je comprends ça. Après tout, un valet comme Abdallah, bon teint, c’est la poule aux œufs d’or, une source éternelle de copie.

— Mon Dieu, c’est selon la manière de voir. Il y a des maîtresses qui rapportent ça et qui coûtent moins cher.

— Oui, mais ça compromet.

— Tout compromet. C’est précisément pour ça qu’il faut avoir un valet qui vous empêche d’être compromis, et ça coûte cher, parce qu’il sait tous vos secrets. C’est une autre variété de nègre, l’ancien Frontin.

— Dans ce genre-là, dit le peintre, j’en ai connu autrefois un très-beau à Valentin, le caricaturiste du Charivari. On l’appelait M. Félix. Figurez-vous un beau garçon de cinq pieds trois pouces. Habits, cheveux à la dernière mode, bottes très-remarquables, tenue de dandy et les mains blanches. Eh bien, messieurs, il passait rue Le Peletier pour un sous-secrétaire d’ambassade, et il entretenait une marcheuse.

— Joli !

— Très-jolie. Par exemple, avec M. Félix, on n’entend jamais parler de créanciers, de parents, de maîtresses, ni de toutes ces espèces-là. Prix : dix mille francs par an !

— Ce n’est pas cher.

— Attendez donc. Dix mille francs par an, qu’il faut payer.