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bien que tout était fini, quand on revit Margueritte roulant sa cigarette chez les marchands de vin ; non pas que l’on pût reconnaître son visage, car, tourné vers le comptoir d’étain, il apparaissait toujours de dos, mais on le devinait à son échine courbée et à ses cheveux jaunes !

— Ah ! m’écriai-je, le malheureux !

— Et maintenant, dit Vandevelle, vous connaissez la simple histoire de Margueritte et de ses trois tableaux. Qu’a été ce pauvre homme, aujourd’hui tombé en ruine ? Un grand peintre ou un amoureux imbécile ? Les trois toiles sont d’incontestables chefs-d’œuvre, mais le véritable artiste existe-t-il sans la fécondité, qui seule fait de lui un créateur ? La nature, cette grande créatrice, s’arrête-t-elle jamais ? Une qualité a-t-elle été véritablement possédée, si elle peut s’endormir en de si longues léthargies ? Pour moi la question est résolue, malheureusement. N’eût-on jamais vu aucun tableau de Rubens, en en voyant un on devine qu’il en existe mille autres du même maître, et que celui-là a été tiré du néant par une main féconde !

— Oui, repris-je, votre artiste est un monstre adorable, mais enfin un monstre ! L’artiste peut aimer, mais à la condition d’adorer dans sa maîtresse la beauté, et non la chair ! Et quand même, au lieu d’être une courtisane haineuse, comme Céliane, l’idole serait une femme divine, il ne faut pas qu’elle devienne pour l’artiste l’incarnation palpable de son génie et la puissance créatrice elle-même, car alors vous vous exposez à voir votre génie voler des couverts d’argent et assassiner des fils de famille ! La seule et vraie Béatrix du poëte, c’est cette Vénus idéale, immatérielle et vierge, dont le pied se salirait en marchant sur les blanches nuées, et dont la forme