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Encore une fois, M. Margueritte s’arrêta éperdu, affolé, cherchant en vain le mot qui le fuyait. Évidemment le petit discours qu’il venait de prononcer avait épuisé toutes ses forces. Sa prunelle était devenue morne, sans couleur : il s’affaissait sur lui-même et tendait les mains comme un enfant qui redoute une correction. Il regarda autour de lui et fit un effort désespéré pour trouver encore un mot, une parole, pour se souvenir, mais il fit en vain appel à sa mémoire. Alors il retourna à l’armoire, but coup sur coup deux verres d’eau-de-vie et, comme la première fois, parut subitement ranimé.

— … Fâchée de ne pas s’être trouvée ici, dit-il en s’inclinant, dès qu’il put revenir vers nous, car l’eau-de-vie lui rendait le fil de sa pensée ! Elle sait, monsieur, ajouta-t-il, que vous êtes notre sauveur. Obliger n’est rien, mais obliger d’une manière si délicate ! Ma mère aussi, croyez-le bien, la pauvre vieille madame Margueritte, sera certainement désolée… désolée… désolée… (Il alla à l’armoire et but encore) de n’avoir pu vous offrir ses respects. Elles sont toutes les deux en voyage pour une petite affaire de succession. Un parent éloigné qui nous laisse un souvenir ; mais presque rien. Oh ! leur absence ne sera pas longue ! Je les attends… je les attends… je les attends…

Et notre homme était déjà loin, et de nouveau je voyais briller dans l’armoire sinistrement vide le flacon d’eau-de-vie et le verre.

C’était quelque chose de poignant au delà de toute mesure que cette conversation banale échangée entre mon ami et M. Margueritte, conversation coupée à chaque instant par les allées et venues de ce malheureux, qui d’une façon automatique, avec la régularité d’une marionnette d’horloge, allait chercher à la fatale ar-