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avait voulu me montrer l’artiste avant les tableaux, afin de pouvoir me dire en terminant : « Eh bien ! l’auriez-vous cru, cet artiste inspiré, ce grand créateur est précisément le pauvre homme que vous avez vu dans un état si digne de pitié. » En un mot, Vandevelle avait résolu de m’étonner, oubliant en cela mon aversion décidée pour les surprises, que je hais de toute mon admiration pour les chefs-d’œuvre des maîtres, où ces moyens misérables sont toujours dédaignés. Vandevelle frappa à une porte isolée dans un long corridor poudreux, et l’homme lui-même, un grand spectre usé par je ne sais quels excès, enseveli dans une longue redingote brune en lambeaux, vint nous ouvrir avec tous les signes d’un grand embarras et d’une terreur enfantine.

— Ah ! monsieur, c’est vous, monsieur… donnez-vous donc la peine…

Il balbutiait ces paroles d’une voix hésitante, marchant au hasard et comme un homme égaré dans le grand taudis encombré d’objets grossiers de ménage, de plats où se voyaient des restes de nourriture, et surtout d’étoffes flétries, d’oripeaux crasseux à apparence théâtrale, et de toutes sortes d’objets à l’usage d’une femme, têtes de poupées, carcasses de chapeaux, aciers de jupes, bottines déchirées et poudreuses. Son œil bleu était tout à fait mort et atone, et il cherchait ses mots avec un effort inouï. Enfin arrivé à ceux-là : donnez-vous donc la peine… il renonça à une lutte évidemment trop pénible, et, prenant tout à coup son parti, il s’élança avec une agilité de clown vers un des coins de la grande chambre.

Ce coin seul pouvait donner à penser que l’habitant de ce bouge était un artiste. Un beau panneau de vieux chêne à moulures antiques, très-étroit et très-haut, était