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de laquelle s’étendait un dais de trône en tapisserie, surmonté de panaches datant du règne de Louis XIV, assise dans un siége d’ivoire, elle travaillait à une tapisserie avec de la laine pourpre, et ses pieds chaussés de soie foulaient une riche draperie de satin à fleurs d’argent, jetée sur les marches. Elle était vêtue d’une robe à manches demi-flottantes et ajustées au poignet, faite d’une étoffe antique, et, comme l’arcade de ses paupières, ses mains idéales, blondes, transparentes, expliquaient la statuaire des âges fabuleux.

Au moment où cette éclatante figure l’éblouit, madame de Klérian ne pensa plus au motif qui l’avait amenée, ni à Flavien, ni à elle-même. Il lui sembla que le monde mystique imaginé par les poëtes s’animait sous ses yeux. Vénus encore frémissante du baiser des flots, Diane enivrée de la senteur des forêts, les Grâces tressant des fleurs, et les Muses dansant pieds nus sur la neige rose des cimes apparurent dans son esprit, soudainement inondé d’une sérénité inouïe. Comme si, remontant les âges, elle eût pu tout à coup se sentir vivre dans la Grèce héroïque, il lui semblait qu’elle venait d’entrer dans quelque temple de la Vénus guerrière, et qu’au bruit de la foudre tonnant dans un ciel pur, l’Immortelle s’était substituée à un vain simulacre et fixait sur elle ses prunelles immobiles. Ou, n’avait-elle pas devant les yeux la belliqueuse amante de Thésée, miraculeusement sortie de son tombeau en forme de losange, et cherchant à côté d’elle son baudrier magique et son glaive teint de sang ? Puis, quand elle regardait les bronzes, les émaux, les miroirs de Venise, les chandeliers touffus aux grandes corolles de lys, tout ce luxe du XVIe siècle qui entourait magnifiquement la femme aux longs cils et à la crinière d’or, elle en faisait quel-