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mander, mais ses yeux semblaient vouloir décrocher les tentures. Elle s’agitait machinalement, en répétant : C’est fini, je n’ai plus rien, je n’ai plus rien ; Raphaël va me quitter ! Comme je détournais la tête, péniblement affectée, j’aperçus du coin de l’œil la lueur d’un éclair rougeâtre. Hébé s’était jetée sur une broche de rubis, posée sur le coin de la cheminée, et l’avait cachée sous son châle. Si rapide qu’eut été mon regard, il s’était croisé avec celui d’Hébé ; elle vit que je la voyais ; elle resta calme, mais comme foudroyée. Moi, pour retourner la tête vers elle et pour parler, je crus qu’il me faudrait mille ans, et il me sembla que j’avais à faire un effort plus pénible que pour soulever un monde. J’aurais voulu que cette seconde d’anxiété fût éternelle. Enfin, je pus rompre le silence, et je murmurai : Si cette bagatelle vous plaît, Hébé, je suis trop heureuse de vous l’offrir. — Eh bien, dit-elle, je la prends !

» Ses yeux s’étaient levés avec l’expression d’une suprême détresse. Farouche, elle montrait qu’elle avait tout offert en holocauste ! Pourtant, en me voyant verser une larme, elle fut attendrie ; avant de sortir elle prit ma main et la baisa en sanglotant. Moi, j’étais persécutée par l’idée de Raphaël, et je me disais : En ce moment-ci, que peut-il faire ? Et j’entendais encore dans mon escalier la toux déchirante d’Hébé Caristi.

» Huit jours après, je la revis dans le cabinet de M. Dejean, qui lui avait vainement défendu sa porte. Elle voulait absolument donner une dernière représentation pour laquelle elle demandait cinq cents francs ; et, la voyant mourante, le directeur refusait, par humanité. Mais elle emporta d’assaut ce marché épouvantable, et le jour fut choisi. L’annonce de cette dernière apparition de la