Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prononcées par une ruine vivante qui offrait l’image même de la caducité. Mais sur Emma Fleurdelix, malade et énervée par ses gémissements, l’effet de cette fantasmagorie décupla de violence. Elle ouvrit démesurément les yeux, regarda Hébé Caristi, et se mit à rire ; elle rit, elle rit démesurément, et toujours ce rire farouche, interminable, tyrannique, augmenta d’intensité ; sa bouche écumait, ses yeux étaient blancs, ses membres tordus, et elle riait encore. La crise se termina par des spasmes cruels et par une longue attaque de nerfs, à la suite de laquelle Emma dut être reconduite chez elle et confiée aux soins d’un médecin.

» Pour moi qui avais évité la fin de cette scène, en entrant dans le cirque, car je faisais la haute école sur mon joli cheval arabe, je n’avais plus conscience de rien ; je me croyais menée au sabbat par quelque Méphistophélès ironique, et je regardais stupidement l’écuyer au long fouet et à l’habit boutonné, en m’attendant à voir sortir de sa bouche une souris écarlate. Tout en faisant machinalement mes exercices, je regardais les becs de gaz avec l’idée qu’ils se métamorphoseraient en comètes sanglantes ; les applaudissements qui retentissaient à mes oreilles me semblaient les mugissements d’un tonnerre infernal ; je voyais les spectateurs avec des faces vertes. Raphaël ! Raphaël ! Raphaël ! je répétais involontairement jusqu’à m’en rendre folle ce nom devenu pour moi plus extraordinaire que ceux de tous les monstres antédiluviens exterminés aux âges fabuleux par les oiseaux héroïques. Ô ciel ! quel pouvait être ce Raphaël amoureux d’Hébé Caristi, et qui lui faisait souffrir les martyres de l’amour contrarié ? En fermant les yeux, j’essayais de me le figurer, mais jamais je ne pouvais me le figurer avec une face humaine !