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de Venise mêlés dans un fouillis de nattes bizarrement agencées, et elle était vêtue d’une façon barbare avec des tissus de soie rayée aux couleurs vives.

Elle fit sur une corde tendue l’ascension du clocher, mais cela avec tant de courage et de grâce, que ses représentations excitèrent ensuite un véritable délire. La foire de Beaucaire n’était pas finie, que son nom était déjà populaire dans toute la France. En 1800, Hébé, qui allait avoir vingt ans, n’était pas une seule fois retournée à l’étranger, et elle avait acquis une somme assez forte pour pouvoir faire construire à ses frais au coin de la rue d’Angoulême un théâtre dont elle obtint le privilége, et qu’elle nomma le Théâtre des Exploits militaires.

En effet, on y donnait uniquement des mimodrames représentant les batailles et les récentes victoires de Bonaparte : Montenotte, Millesimo, Lodi, Castiglione, Arcole, Rivoli, les Pyramides, Marengo ; le Premier Consul ne cessait pas de vaincre, et Hébé ne cessait pas d’écrire ; mais ces pièces militaires, pareilles à celles qu’on a représentées partout, composaient la partie la moins intéressante de son spectacle. Sa gloire et son réel triomphe, ce fut la tragédie, qu’elle jouait à elle toute seule, sur la corde tendue !

Pendant tout le temps que durèrent nos conquêtes et que notre domination transforma l’univers, pas de réjouissances, pas de fêtes, pas de Te Deum sans Hébé Caristi. Toujours, au bruit des canons et des fanfares, aux cris de joie d’un peuple idolâtre, aux lueurs des illuminations et des feux d’artifice, à cent pieds au-dessus de la Seine pavoisée et incendiée de mille feux, dans l’azur au milieu des étoiles frissonnantes, toujours passe, vêtue d’or et de pourpre, et dans ses mains agitant les drapeaux tricolores, cette déesse du ciel et des airs, qui