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V. — LE ROI

Au mur de la salle où le jeune roi Michel préside son conseil, sont encastrés les portraits de ses aïeux, tous vêtus de la robe triomphale, laissant flotter derrière eux le long manteau de pourpre, tenant en main le sceptre, et portant sur leurs longues chevelures la couronne ornée d’énormes pierreries. C’est ainsi qu’ils marchaient jadis à travers les villes, afin qu’on pût dire, en les voyant : « Celui-ci est le Roi ! » mais, pour se conformer aux idées modernes, Michel est vêtu d’un simple veston et, en les autorisant à faire comme lui, il a pris avec ses ministres la liberté grande de fumer une cigarette.

— « Sire, dit l’un des vieillards, toute la question est de savoir si le ministère Polonius, assemblé ici devant vous, sera ou ne sera pas remplacé par le ministère Guildenstern, qui ne saurait obtenir une majorité sérieuse dans la Chambre. Pour moi, je n’hésite pas à représenter humblement à Votre Majesté que le ministère Polonius est le salut de l’État, comme le ministère Guildenstern en serait la perte.

— Mon cher duc, dit le roi Michel, je veux que mon peuple ne soit pas comme une bête de somme ployant sous le fardeau et déchirée à coups de fouet. Je veux que les ouvriers, avec le prix de leur travail, mangent de la vraie viande non corrompue, et boivent du vin