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LXVII. — LA COURSE DES HAIES

Avec un dédain pour les taureaux qui ne s’explique pas, le truculent coloriste Zardo est en chasse dans la plaine de Marlotte, vêtu de sa vareuse écarlate, et il fracasse les lièvres au lieu de peindre des études, ce qui retarde et ajourne d’autant son entrée à l’Institut. Passe le garde Juguelet, tordu et ratatiné par les ans, mais toujours obstiné au devoir et brave comme un lion, en dépit de son catarrhe. Il voit l’artiste, et ce géant au chapeau Rubens et à la barbe de fleuve, dont les jambes sont protégées par des cnémides violettes, ne lui faisant pas l’effet d’un homme qui doive être en règle, il l’aborde à brûle-pourpoint et va lui demander son permis de chasse.

Mais au moment où il ouvre la bouche, Zardo s’envole comme un aigle, comme un dard, comme une flèche sifflante. Juguelet s’élance sur ses pas, mais trop tard ; le peintre est déjà loin. Il court comme Milanion poursuivi par Atalante et jetant ses pommes d’or ; il dévore, engloutit, supprime l’espace. Juguelet toussant, anhélant et tout en eau, le suit avec désespoir, avec folie, avec l’angoisse de la lutte inutile, mais il le suit ! Comme deux chevaux dans la course des obstacles, ils franchissent les haies, les roches, les ruisseaux, tout ce qui s’oppose à leur passage ; ils traversent des bois où il