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franges d’or. Elle s’était, en effet, attachée avec la blanche innocence de son âme à ce jeune homme à qui elle n’avait jamais parlé, à qui elle ne parlerait jamais, qui à jamais resterait pour elle un étranger : car, ignorant tout, elle savait cependant qu’il n’y a ni amour ni mariage pour une enfant pauvre comme elle, fille d’un homme de génie que son siècle ne connaît pas, et qui s’est voué avec héroïsme aux incessantes privations d’une obscurité glorieuse.

« Rentrons, mon père, dit-elle vivement ; » et le vieillard obéit sans mot dire, car il s’était fait une habitude inconsciente et douce de soumettre ses volontés à celles de sa fille. Ils refirent, cette fois en silence, le chemin qu’ils avaient déjà parcouru, et dix minutes plus tard ils rentraient dans leur pauvre logis. Mais au moment où Eudore ouvrait la porte, leur surprise à tous les deux fut telle que Cléaz ne put s’empêcher de pousser un grand cri, tandis que, pâle et défaillante, la jeune fille tombait sur une chaise sans pouvoir trouver une parole. Ils venaient de voir, accroché à la muraille, encadré par une bordure merveilleusement fouillée et dorée, chef-d’œuvre de sculpture du dix-septième siècle, le portrait, le portrait vivant d’Étienne Cléaz. À la fois vrai et idéal, montrant le vieillard entouré de ses livres et occupé de ses travaux fortifiants, ce tableau, signé par un des maîtres de l’art moderne, Jean Saluce, était peint avec une si heureuse et si puissante distribution de la lumière, qu’il joignait à la vérité d’une représenta-