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pas. Elle souffrait, en effet, d’un désir ardent, poignant, sans mesure, que sa pauvreté l’empêcherait à jamais de réaliser. Elle pensait que, lorsque l’avenir aurait donné à Étienne Cléaz la gloire qu’il réserve indubitablement aux hommes de génie, il n’y aurait ni pour Paris, ni pour sa ville natale, un portrait qui rappelât les traits de ce lutteur obstiné à qui la Renaissance eût décerné tous les honneurs dont disposent le peintre et le statuaire. Elle pensait cela, que la personne physique du vainqueur serait effacée et disparue au jour du triomphe, et elle en sentait une angoisse mortelle.

Eudore et son père descendirent au Luxembourg, et qui les eût suivis à travers les allées du jardin où soufflait une brise déjà tiède eût admiré l’innocente joie avec laquelle ces deux êtres enfants s’enivraient de voir la nature respirer et vivre, car le bon Cléaz ignorant tout ce qui est le mal, avait l’âme d’un ange, et la Science qui si amoureusement avait touché de ses lèvres le front de la belle Eudore ne lui avait rien ôté de cette naïveté, de cette profonde ignorance virginale qui sont l’ineffable parure et le don visible de la Grâce. Au détour d’une allée des nouveaux parterres, un jeune homme beau, hâlé, à l’épaisse chevelure, passa près d’eux sans que M. Cléaz le remarquât, et rapidement s’éloigna en rougissant dans une autre direction. Eudore aussi rougit, le sang empourpra son charmant visage, et elle baissa, vers la terre ses yeux dont les grands cils étaient comme des