Page:Banville - Dans la fournaise, 1892.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cependant, fastueux jouet du sort inique,
Rebut de tous parmi ces couples, Véronique
Va, dans sa robe rouge en forme de fourreau
Seule comme un lépreux ou comme le bourreau.
Elle est belle à tenter les démons. Sur sa lèvre
De feu, la volupté féroce a mis sa fièvre,
Et l’on peut voir tous les instincts, hormis les bons,
Dans ses sombres yeux, plus ardents que des charbons.
Un reflet bleu fleurit sa chevelure noire ;
Son cou ferme est dressé comme une tour d’ivoire ;
Sa bouche s’amollit en un sourire, et dans
Cette pourpre entr’ouverte on voit ses blanches dents.
Lascive et jeune, avec la fierté d’une aïeule,
Véronique va seule, oh ! cruellement seule,
Mais calme, et rien ne peut troubler ses yeux riants,
Ni la placidité de ses traits effrayants.
Véronique au grand cœur, c’est la bête écarlate
Que la Perversité docile berce et flatte ;
C’est le calice ouvert, la grande Fleur du mal,
C’est la fureur et la grâce de l’animal ;
C’est elle que le diable envoie en ambassade ;
C’est Messaline et c’est la marquise de Sade,
Avec sa lèvre offerte aux feux inapaisés
Comme le pied d’un dieu poli par les baisers.