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Ceux-ci, vite, emplissaient à la pelle des seaux
De sable, ou bien faisaient voltiger les cerceaux,
Ou se disputaient, fous et prompts à la riposte.
D’autres couraient ensemble et jouaient à la poste,
Faisant voler au vent leur petit cotillon.
L’un était le cheval, l’autre le postillon,
Et leurs petits amis avaient grand’peine à suivre
Les claquements du fouet et les grelots de cuivre.
Tous, douces fleurs, charmante aurore du présent,
Allaient se bousculant, se battant, se baisant,
Et leurs grands yeux emplis d’espoir et de chimères
Faisaient s’épanouir les sourires des mères,
Et tout n’était que joie infinie à l’entour.
Mais, ô rêve ! ô sinistre enchantement du jour !
Comme s’il eût caché d’invisibles désastres,
Il sembla que l’azur, où sommeillent les astres,
S’allumait, et dans l’air fluide et paresseux,
Les spectres de midi, plus effrayants que ceux
De la nuit, au milieu des rayons apparurent,
Foules qui lentement s’enflèrent et s’accrurent,
Flottant dans la lumière et l’éblouissement ;
Et dans le lointain clair s’ébauchaient vaguement
Ces fantômes gardant leur sinistre posture,
Teints des couleurs du prisme et de la pourriture.