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XXVIII


LES SERVANTES



En province, beaucoup d’âmes délicates, douloureusement froissées dans leurs plus légitimes instincts, n’ont d’autre parti à prendre que celui de la résignation, et c’est à celui-là que s’était arrêtée Mme Henriette Simonat, après des luttes inutiles. Mariée à un homme d’esprit grossier, tyrannique, libertin, profondément égoïste et, de plus, avare, elle comprit bien vite qu’elle devait abandonner toute espérance ; et, à vingt-huit ans, merveilleusement belle, et mère de deux enfants déjà grands, elle avait fait son deuil de la vie. Les Simonat habitaient une campagne nommée les Bernadets, près d’Azay-sur-Cher, à quatorze kilomètres de Tours ; mais, en réalité, Mme Henriette était à mille lieues de cette ville, où son fils François était au lycée, sa fille Julie en pension, et où elle avait laissé ses amitiés d’enfance. Car son mari la tenait à la maison comme prisonnière, n’ayant ni les plaisirs de la compagnie, ni l’âpre jouissance de la solitude. En effet, Simonat qui faisait valoir ses grandes propriétés, recevait assez fréquemment des marchands de vin, de grains, de bestiaux, et des