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Mais si pour un instant nos mères enjôlées
Me laissaient votre bras dans les longues allées,
Oh ! comme tous les deux, en nous serrant la main,
Nous prenions du bonheur jusques au lendemain !
Hélas ! où s’envola cette rapide ivresse ?
Maintenant, chaque été, la brise vous caresse
Dans un vague séjour d’eaux quelconques, et moi
Je me suis fait mener, je ne sais trop pourquoi,
Au fond d’une province où des Nemrods sauvages
Dévorent, sans que rien puisse apaiser leurs rages,
Comme au temps où, quenouille en main, Berthe filait,
Des brochets monstrueux et des cochons de lait.
Or, fussé-je au Moultan, ou bien chez les Tungouses,
Au Kiatchta, pays des amantes jalouses,
Ou chez les Beloutchis, ou chez les Hottentots,
Vierges de toute presse et de tous paletots,
Mon cœur s’envolerait à ce riant ombrage
Où nous étions si fous. Pourquoi devient-on sage !
  Vous savez comme l’herbe était verte ! Au bassin
Comme nous admirions en leur calme dessin
Les beaux petits Amours aux gracieuses poses,
Et comme chaque brise était pleine de roses !
Oh ! lorsque aux bords aimés l’ancre à la forte dent
Mordra, si je reviens entier, sans accident,
Du char jaune-serin des postillons hilares,
C’est dans ce quartier-là que dormiront mes Lares.
Ce sera pour toujours alors, jusqu’au cercueil.
Car, sinon la Fortune assise sur le seuil,