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Comme Jésus sa croix ; l’autre, dernier refuge
Où nous trouve la mort pour nous mener au Juge.
Et souvent je pensais, en rêvant dans ce lieu
Où se mêlent les voix des mourants et de Dieu,
Que pour ceux dont le cœur sort vierge de ses langes,
Notre calvaire touche aux demeures des anges.
  Assis sur une pierre, et le front dans les mains,
Je repassais en moi tous ces rêves humains,
Je cherchais à fixer de mon esprit superbe
Le problème infini de la Chair et du Verbe ;
Je voulais commenter l’impérissable Loi,
Pauvre fou que j’étais ! et disséquer la Foi :
Connaître la liqueur en en brisant le vase !
Et la Nuit m’eût trouvé dans cette même extase
Profonde, si des voix ne m’eussent réveillé.
Alors, comme un songeur toujours émerveillé
Qui d’Ève aux doigts de lys retourne à Cidalise,
Et cherche le théâtre au sortir de l’église,
Je flânais lentement tout le long du chemin
Jusqu’à mon Odéon, ce colosse romain,
Ce vaste amphithéâtre aux moulures massives,
À l’air grave, où les voix sortent pleines et vives,
Où Shakspere et le grand Molière, ce martyr,
Semblent en nous voyant pousser un long soupir,
Temple où la Melpomène est vaste comme un monde,
Et jetait en un jour, vieille Muse féconde !
À ce monstre affamé qu’on nomme le Public,
Deux Talmas à la fois, Bocage et Frédérick !