Page:Banville - Œuvres, Les Cariatides, 1889.djvu/94

Cette page n’a pas encore été corrigée

Alors que les Iris et les belles Climènes
Jusques au madrigal se faisaient inhumaines,
Et plus tard, quand la fière et belle Tallien
Marchait, tunique au vent, sans voile et sans lien.
Au fait, nous avons lu bien souvent Le Vampire
Du grand poëte ; eh bien, cette femme était pire
Encore, étant vampire et femme. On ne pouvait
Relever un front pur des plis de son chevet.
Or, Prosper y posa sa tête. Si l’histoire
Est fausse, je ne sais. Mais ce qui m’y fait croire,
C’est qu’en touchant Alice on sentait un frisson,
Que sa lèvre semblait froide comme un glaçon,
Et que, comme le tigre après un jour de jeûne,
Son regard aspirait ardemment le sang jeune.
  Oh ! trois fois malheureux et perdu sans espoir
L’homme de cœur qui prend une femme un beau soir,
Et, laissant de côté le reste, vit en elle
Seulement, abrité du monde sous son aile !
Cette Madone-là savait bien son métier
De panthère lascive, et d’un bel air altier
Buvant jusqu’à la fin le sang de sa victime,
Elle se délectait de ce carnage intime.
Un jour pourtant, Prosper, qu’elle avait laissé seul,
Faute étrange ! sortit vivant de son linceul.
Tremblant, il vint s’asseoir auprès d’une fenêtre
Ouverte, dont l’air pur fit un instant renaître
Sa pensée, et bientôt, par la flamme ébloui,
Il recula de peur quand le rayon eut lui.