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Pour parler net, ce fut un être d’antithèse
Au corps pelotonné comme une chatte anglaise ;
Le visage suave et rose, mais les yeux
Cruels, et reflétant l’enfer plus que les cieux.
Sa voix était limpide et pleine d’harmonie
Comme un frémissement des lyres d’Ionie ;
Ses cheveux étaient doux, ses doigts petits et longs,
Ses pieds se meurtrissaient aux tapis des salons ;
Ajoutez un corps mince, une allure mignonne
Et des ongles rosés, vous aurez la Madone,
Pareille à ces beautés dont on baise la main
Respectueusement, au faubourg Saint-Germain.
Son nez grec, ses sourcils arqués, ses dents d’opale,
Tout était jeune, sauf cette lèvre fatale
Qu’un sourire funèbre éclairait. En tous temps,
Même sous les rayons du soleil de printemps,
Elle était enterrée au sein d’une fourrure
Toute blanche, et semblait mourir. Une torture
Étrange se peignait dans son œil interdit,
Et dans l’ombre elle avait ce triangle maudit
Que le doigt de Dieu trace au front des mauvais anges.
  Était-elle arrachée à ces noires phalanges
Qui tombèrent un jour de la nue aux flancs d’or ?
Peut-être. Je ne sais. Mais on disait encor
Avoir su vaguement des vieillards que leurs pères
L’avaient vue autrefois en des âges prospères,
Alors qu’illuminée aux splendeurs de son nom,
La noblesse dorait les prés de Trianon,