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Parlèrent-ils encor ? Je ne sais trop. La brise
Ne les entendit plus. Mais, sur la pierre grise,
Près du mur dont la mousse a rongé les granits,
Elle revint un soir baiser leurs fronts unis.
Quelle joie, ô mon Dieu ! les heures solennelles,
La nuit qu’ils éclairaient de leurs chaudes prunelles,
Le parfum des jasmins et des pâles rosiers,
Tout prenait à la fois leurs cœurs extasiés.
La brise soupirait entre eux deux. Leurs paroles
Ne s’échangèrent plus, et puis leurs lèvres folles
Confirmèrent tout bas les clauses de l’hymen
Que la main de chacun jurait à l’autre main.
Ce fut comme un éclair où flambent deux nuages,
Ineffable moment que les plus durs naufrages
Ne sauraient arracher du cœur ! Car, si profond
Qu’il soit, et quelque fiel qu’il élabore au fond,
Quelque orage qu’un jour la passion y fasse,
Toujours ce feu céleste en dore la surface.
Oh ! comme ils oubliaient le monde, cet égout !
Et leurs plaisirs d’enfant, et leurs mères, et tout !
Comme au baptême saint des invisibles flammes
Ils brûlaient leurs passés et retrempaient leurs âmes !
Fut-ce un rare bonheur pour les sens enlacés ?
Oui, mais les vrais moments d’extase étaient passés ;
Car les plus doux transports sont dans l’inquiétude
Dont les rêves s’en vont à la béatitude,
Quand le cœur comprimé doute, et sous le surcroît
Du doute, se replie et se réveille, et croit !