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Certes, Prosper avait une âme de poëte,
Mais de riches désirs bouillonnaient dans sa tête,
Et ses sens lui disaient que ce n’est pas assez
De la communion des regards embrassés.
Souvent il s’en alla dans les bruyères sombres,
La nuit, s’asseoir tout seul au milieu des décombres ;
Il s’en alla gravir le pied fangeux des monts,
Où les rocs dentelés semblent de noirs démons :
La lune aux yeux d’argent frissonnait. La rosée
Pleurait de chastes pleurs sur sa bouche arrosée ;
Tout semblait un joyau doux et silencieux ;
La terre d’émeraude et la turquoise aux cieux,
Et le frêle rameau tendant sa verte palme ;
Tout, excepté les sens de Prosper, était calme.
  Au fait, comment rester tant de jours sans se voir ?
Vivre un jour sur huit jours, est-ce vivre ? Et le soir
Se quitter ! et sentir sur une froide couche
La Solitude avec son baiser sur la bouche,
Courtisane de marbre, et qui vient vous saisir
Quand votre ami la chasse aux rires du plaisir !
Et ces rêves menteurs ! Et ces nuits d’insomnie,
Quand, près du temple où dort la chère Polymnie,
On rôde, l’œil fixé sur le vieux mur éteint
Qui des rayons du monde a préservé son teint !
  Un grand homme inconnu, joueur de chez Procope,
Disait que le désir est un bon microscope :
Or, tant de fois Prosper vint explorer le mur,
Que pour cet examen un soir le trouva mûr.